Témoignages de papas

Pascal, papa de Robin né en 2001

Une dure épreuve pour un résultat magnifique. Au huitième mois, lors d’une dernière échographie à l’hôpital, la gynécologue observe son écran de contrôle. Je ne sais plus exactement pour quel prétexte, mais elle nous a demandé d’aller à Bordeaux en urgence consulter une spécialiste dont elle nous donne le nom. Je ne me souviens plus pourquoi, mais plutôt la manière dont elle nous a dit çà. Elle a essayé de minimiser en prétextant quelque chose de ridicule. Christelle (la maman) n’a pas « accroché » à tout çà. Elle ne voyait qu’une chose. Un bébé tant attendu sur un écran vidéo.
L’après midi (en l’absence de Christelle), inquiet, je rappelle la gynéco. Elle me dit clairement qu’elle à un petit, vraiment tout petit, soupçon de trisomie. Je vous dirais presque que je n’étais pas surpris, un peu comme si je m’y attendais.
J’ai passé la semaine suivante à me préparer psychologiquement, seul. La semaine suivante, la consultation auprès de cette « spécialiste » a été très difficile (pour moi en tout cas). Je n’avais rien dit à Christelle de ma conversation avec la gynéco pour ne pas l’inquiéter pour rien. J’en avais juste parlé à une amie (une vraie de vraie) qui attendais avec impatience le résultat de cette visite. L’échographie a duré une heure durant laquelle rien ne sort. Puis une demi-heure d’attente pendant laquelle cette « spécialiste » téléphone à notre gynéco. Bizarre s’il n’y a rien. Finalement elle nous annonce que tout va bien et que le bébé à un tout petit nez, un peu comme celui de sa maman.
Le pire : « De toute façon, s’il y avait un problème on peut toujours faire quelque chose ». Je lui demande : « Quelque chose ?, mais c’est trop tard. » et elle me répond, tout simplement : « Monsieur, jusqu’à la veille de l’accouchement on peut faire quelque chose ». Je me demande encore si je parlai à un être humain digne de ce nom.
Tuer un être humain dont on a vu, senti, ressenti le coeur battre. Enfin, nous avions retenu que allait bien. Notre amie aussi. J’ai malgré tout passé le dernier mois à y penser… et à me préparer au pire sans dire mots à Christelle. Elle ne devait pas s’inquiéter, peut-être pour rien. Le jour J, une césarienne s’impose. J’avais écrit plus tard (dans un petit poème que je n’ai jamais terminé) sur ce moment particulier : On vient me chercher dans la salle d’attente,
l’infirmière reste floue à mes questions pressantes,
      le doute s’installe et refroidi ma joie,
      la maman va bien, nous avons un roi.
Là, je vois Robin pour la première fois. Je me rappelle des mots de ma grand-mère : « Les enfants ressemblent plus tard à la tête qu’ils ont les premières secondes de la naissance ». J’en suis presque sur maintenant en voyant Robin dans les bras de l’infirmière qui va le peser. Il est trisomique. Les infirmières ne savent pas encore quoi faire en ma présence. Je le ressent, elle font semblant de faire les choses habituelles en attendant la pédiatre de service qu’elle ont fait appeler en urgence. Lorsque cette dernière arrive, elle osculte Robin sans rien me dire d’inquiétant pour le moment.
Quelques minutes plus tard, alors que je suis seul avec Robin dans une petite pièce près de la salle de réveil où se trouve Christelle, la pédiatre vient me voir. Très simplement, sans brutalité, gentillement (enfin) elle m’annonce ce que je redoutais : « Il y a de fortes chances que votre fils soit trisomique. Il y a plusieurs signes qui vont dans ce sens. Nous n’en serons sûr qu’après avoir fait une prise de sang. » Puis elle me demande : « Voulez-vous que je l’annonce à votre femme ? » NON, je le ferai. « Voulez-vous l’aide d’un psychologue ? » NON, merci. J’avais envie d’être seul.
Seul avec celui que j’attendai depuis des années. Et j’ai pleuré. De joie, de tristesse ? Je ne saurais dire. Le contre-coup ? Peut-être. Je vais enfin voir Christelle, encore dans les vaps. Lorsqu’elle me demande si Robin va bien, je lui tiens la main et lui chuchotte le plus simplement du monde : « Oui, il dort. La pédiatre pense qu’il est peut-être trisomique mais à part çà il va bien. » Un peu comme si je lui annonçais qu’il avait un nez au milieu du visage.
Le lendemain, après quelques petites heures de sommeil, il faut annoncer la nouvelle à la famille, à nos amis. Je le fais un peu comme à Christelle. Je m’entends encore dire à ma belle sœur qui me disait que s’il n’était pas normal ce n’était pas grave : « Crois-tu que Saddam Hussein ou Hitler soient des gens normaux ? ».
La gynéco est passée ensuite nous voir. Je ne lui en ai pas voulu. Après tout elle est aussi un être humain, hypocrite un peu, comme beaucoup d’autres. Les larmes me viennent en écrivant se témoignage.
Tout compte fait, je remercie Dieu de cette épreuve qu’il nous a fait passé car le résultat final est magnifique.

Pascal